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Les info du réseau

Les acteurs de l'accompagnement face à l'enjeu de l'inclusion

 

 

En 2021, l’Agence Régionale de Santé d’Île-de-France a annoncé le déploiement du projet « T.O » (Transformation de l’offre). Cette démarche consiste à accompagner les acteurs du champ du handicap de la région dans l’évolution de leurs pratiques en vue d’adopter une approche plus inclusive dans l’accompagnement. 

 

Contexte

En tant qu’acteur ressource pour le handicap psychique, le Céapsy contribue au portage de cette démarche et à la sensibilisation des acteurs de son champ à l’intégration de ces enjeux. Cela passe notamment par une diffusion auprès des partenaires de l’approche orientée « rétablissement » et la promotion de l’auto-détermination des personnes accompagnées au cœur de l’accompagnement. 
 

Parallèlement à cette impulsion par les pouvoirs publics, des associations ont déjà amorcé leur mutation pour répondre aux nouvelles attentes de leurs publics. Certaines ont ainsi pris l’initiative de repenser leur approche de l’accompagnement en intégrant le notions de « rétablissement », d’« inclusion » et d’ « autodétermination » au sein même des projets d’établissement. C’est notamment le cas d’Espérance Hauts de Seine qui a initié une démarche associative de transformation impactant toutes les parties prenantes de chaque structure(direction, encadrement, équipes, personnes concernées et proches aidants).

 

Interview d'Estelle Filoche, Chargée de mission Rétablissement, Neuropsychologue chez EHS

 

  • Pourriez-vous décrire la démarche de transformation telle qu’elle a été pensée chez EHS (objectifs, étapes, temporalité …) ?

 

Pour accompagner les mutations structurelles et fonctionnelles qui nous attendaient, il nous a semblé nécessaire d’engager un mouvement holistique. C’est-à-dire, un mouvement permettant non seulement à tous les établissements et services de l’association de se mouvoir ensemble, mais aussi, à chacun d’eux, d’évoluer de façon globale en impliquant tous ses niveaux de fonctionnement (pratiques et postures professionnelles, modèle d’organisation et de management…). Car il s’agit d’une affaire à tiroirs en cascade : difficile de demander aux accompagnants de s’inscrire dans un rapport à l’accompagné qui soit propice au rétablissement, si nos fonctionnements collectifs n’y pas participent pas pleinement. Il fallait donc traduire une dynamique la plus profonde et cohérente possible, de sorte à éviter l’émergence de paradoxes paralysants. Par ailleurs, nous tentons de mobiliser humainement toutes les parties prenantes de l’association (administrateurs, salariés, personnes concernées et leurs proches), pour que tous puissent s’impliquer dans cette démarche d’évolution qui se veut inclusive et collaborative. 
 

De façon concrète et opérationnelle, nous avons commencé en 2021 par un parcours de formation « socle » aux pratiques axées rétablissement, destiné à l’ensemble des salariés (cadres et non cadres, tous postes confondus) et ouvert aux personnes accompagnées désireuses. Ceci afin de repenser notre cadre d’orientation, de partager des repères communs. Ce fut notre première marche d’une démarche de prise de recul et de réflexion de la juste place de nos accompagnements. Nous avons aussi, dans la même période, réalisé une large consultation des salariés, des personnes accompagnées et de leurs proches, via une questionnaire observatoire, pour obtenir un état des lieux, par visions croisées, de la nature et de la qualité de nos postures et pratiques d’accompagnement. Pour que nos projets d’évolution nous ressemblent, nous voulions qu’ils trouvent leur source dans l’analyse des enjeux réels et actuels du terrain. Cela a pris du sens aussi quand nous avons, cette année, actualisé le projet associatif, dans le cadre d’une élaboration contributive de l’ensemble des acteurs, et entamé la mise à jour des projets d’établissement et de services de toutes nos structures, à la lumière du paradigme du rétablissement. 

 

Concernant la temporalité, nous ne nous donnons surtout pas d’échéance, puisqu’il s’agit d’un processus continue d’amélioration, par questionnements et adaptations constantes. Mais le portage associatif offre une rythmique et un soutien proximal, pour assurer la cohérence, la continuité et le suivi des avancées. 

 

  • Comment les professionnels de l’association ont-ils accueilli cette démarche ? 

 

Il y a quelque chose de terriblement déroutant et stimulant à la fois dans le cheminement vers ces nouveaux positionnements. D’emblée, les équipes d’accompagnement et d’encadrement se sont largement senties portées par l’idéologie du rétablissement et l’espoir d’un exercice qui puisse réellement y répondre. On vient souvent toucher aux valeurs profondes des professionnels, à leur raison d’être dans ces secteurs. Et en même temps, que c’est difficile de remettre en question ses acquis de fonctionnement collectifs et individuels ! Il faut pouvoir oser le déséquilibre, accepter que les choses vont tanguer, et prendre en responsabilité les évolutions à opérer ; c’est exigeant pour tout le monde. Et extrêmement porteur de sens aussi. Par ce chemin, nous avons clarifié notre identité associative, nous avons redéfinis un sens commun et un cadre de référence théorique et méthodologique à nos actions à tous les niveaux. Nous en voyons déjà le pouvoir fédérateur, et comment cela participe à la cohésion sociale dans les équipes, et dans l’association.
 

Une chose importante aussi, que rapportent les professionnels, est qu’ils trouvent matière à renouveler leur motivation au cours du cheminement, dans le processus même, parce que les retombées des avancées sont souvent immédiates et très concrètes. Par ailleurs, beaucoup d’entre eux admettent que quelque chose d’irrévocable s’est produit dans le regard qu’ils portent sur les personnes accompagnées et sur leur rôle en tant qu’accompagnant. Certains parlent d’une « claque » d’autres, d’une « révélation ». Comme si, dans cette transformation du regard, il était impossible de faire machine arrière. Cesar Chavez disait « Une fois que le changement social commence, on ne peut plus l’inverser. »
 

  • Quels effets avez-vous observé sur les personnes accompagnées ?

 

A chaque fois que l’approche est présentée, les réactions des personnes accompagnées sont vives : enthousiasme, regret de ne pas en avoir bénéficié plus tôt, indignation vis-à-vis de certains de traitements, espoir que les choses changent… cela ne laisse personne indifférent. Nous avons encore beaucoup à faire pour élargir l’accès à l’information, considérant son importance dans le pouvoir d’agir (« le savoir, c’est le pouvoir ! »)
Néanmoins il se passe déjà des transformations essentielles dans la nature des relations accompagnant-accompagné et dans la redistribution du pouvoir. L’évolution de nos modes de fonctionnement contribuent probablement à cela. Je vous en donne 2 exemples : 

-    Le premier concerne le développement de nos chantiers collaboratifs, qui offre, de fait, plus de possibilités de participation à l’échelle des établissements et de l’association. Les personnes accompagnées apprécient ces modalités de travail en commun et en symétrie, et s’en saisissent de façon croissante. C’est-à-dire qu’en terme de de prise de pouvoir des usagers sur nos organisations, nous avons du répondant ! Cela participe à dépasser les catégories et à reconfigurer le « eux » et le « nous », pour travailler simplement ensemble. Nous espérons que ce mouvement, encore ténu, s’ouvrira davantage, pour guider nos mutations en fonction des préoccupations des personnes.  

-    Ces transformations se traduisent aussi à un niveau plus intime et continu, dans la vie des établissements. Pour vous donner un exemple concret, au sein de notre foyer d’accueil médicalisé, plusieurs mesures liberticides ont été abolies, au profit d’un plus grand respect des libertés individuelles des résidents. Tours de sécurité la nuit, distribution des cigarettes, horaires stricts pour les repas ou pour la prise de traitement… Tous ces fonctionnements coercitifs, qui répondaient à une logique de sécurité et d’organisation de l’établissement, étaient source de conflits quotidiens. Il se trouve que depuis leur suppression, l’ambiance entière du foyer a changée. Il y a un effet systémique dans le « lâcher prise », qui réduit drastiquement les tensions et les comportements à risque. Il semble que les résidents se sentent aussi davantage légitimes et entendus dans leurs choix. Cela créer un climat propice à la collaboration et à la confiance. Et depuis peu, les refus, revendications et signalements se développent. C’est tout un mouvement d’empowerment qui s’instaure et qui produit en lui-même, dans une boucle vertueuse, un soutien inestimable à l’amélioration continue de la qualité et au respect de la dignité des personnes.
 

  • Quels sont les principaux freins que vous rencontrez dans cette démarche et quels sont les leviers que vous avez pu mobiliser ? 

 

Nous menons une démarche innovante et donc fragile. Cela comporte nécessairement son lot d’instabilité et de freins à considérer. D’autant que toute transformation occasionne de la résistance et de l’ambivalence, de façon naturelle. L’un de nos points de vigilance s’attache à l’impression d’une démarche décousue, parcellaire. Ou encore, annexe, comme un chantier qui se surajouterait aux autres (au lieu d’englober tous les autres), donnant l’impression d’une charge de travail supplémentaire, d’une surcharge. Pour accompagner cela, nous tentons de construire un seul écosystème cohérent et articulé, au sein duquel les pratiques axées rétablissement sont diffuses et perméables à tous les travaux quels que soient les espaces et les niveaux : projet d’établissement, projet associatif, analyse des pratiques professionnels et managériales, plan de formation, dynamique RH, démarche qualité… Il s’agit de rendre visible comment l’avancée dans un espace allège, nourrit et influence les autres. Même les intervenants extérieurs, à nos côtés dans certains de ces espaces, sont formés à l’approche et contribuent à tisser le fil rouge.

 

Un autre point de vigilance se trouve dans la morphologie des équipes, qui change continuellement au grès des départs et des arrivées. Cela peut évidemment mettre à mal notre dynamique. Aussi, nous nous assurons d’une part que les nouveaux professionnels soient formés dans l’année de leur arrivée. Et d’autres part, que nos transformations ne soient pas personne-dépendante ! Il nous semble, au contraire, que la seule façon pour que le modèle fonctionne, c’est que (1) tout le monde l'apprenne ensemble, et (2) qu’il repose sur une organisation structurelle viable, au service (et non dépendant) des personnes. C'est à ce prix que les transformations pourront être durables.

 

Enfin, dans ces enjeux de transformations, les professionnels peuvent se sentir parfois seuls, démunis ou dans un doute paralysant. Des espaces réflexifs orientés rétablissement (APP) sont mis à dispositions pour tous : équipes d’accompagnement, équipes d’encadrement, équipe du siège. Ils nous aident à débusquer nos impasses et à nous réinventer, mais aussi à valoriser le remarquable et à monter en compétence. Par ailleurs, je vous le disais, l’association entière chemine ensemble, tout en préservant une singularité d’itinéraire pour chaque structure. Cela conduit à des micro expériences et au développement d’expertises spécifiques, d’un bout à l’autre de l’association. Nous pouvons ainsi devenir ressources pour nous même. De fait, observer et collaborer avec des structures analogues, qui bougent, cela créer à la fois une rupture du scepticisme et de l’isolement. Le portage associatif est réellement, en soi, un levier, une force et une chance.
 

 

 

 

Accéder au site internet d'Espérance Hauts-de-Seine

 

 

 

Sources : merci à Estelle Filoche pour sa disponibilité et son aimable concours

 

Août 2022