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La communauté de pratiques : un espace pour penser collectivement le rétablissement |
Rétablissement, pair aidance, empowerment, inclusion, alliance thérapeutique … le champ de la santé mentale est traversé par un ensemble de termes qui, chacun à leur façon, projettent un idéal d’une société où les troubles psychiques et les personnes concernées ne font pas l’objet d’une stigmatisation et où un diagnostic n’est pas annonciateur d’un parcours jonché de traumas, d’exclusions, de désocialisation et de désaffiliation citoyenne. L'esprit du rétablissementCet idéal, c’est l’esprit du terme « Rétablissement » qui charrie beaucoup d’espoir de mieux-être pour les personnes concernées vis-à-vis de leur état de santé, de perspectives positives pour les aidants sur le devenir de leurs proches, et de sens pour les professionnels dans les soins et les accompagnements qu’ils prodiguent.
En 2024, si l’orientation « Rétablissement » se diffuse largement dans le champ de la santé mentale jusqu’à devenir un thème récurrent de colloques et de journées d’études, il existe peu d’espaces d’acculturation et de réflexion qui lui soient consacrés. Parmi ceux que l’on peut trouver en Ile-de-France, la Communauté de Pratiques Orientées Rétablissement se distingue par sa capacité à accueillir les points de vue des trois publics : personnes concernées, proches aidants et professionnels du soin ou de l’accompagnement. Créé par des professionnels désireux de confronter leur pratique aux savoirs expérientiels des publics concernés et des proches aidants, la communauté est avant tout un lieu de débat où les participants soumettent à la discussion les thématiques qui les ont interpellés en lien avec leurs contextes.
« La communauté des pratiques représente pour moi un lieu réflexif pour penser le réel, l'expérientiel autour d'une dynamique d'altérité nommé ici rétablissement ». Membre de la communauté
En parallèle de politiques publiques telles que la transition inclusive qui promeut une approche citoyenne du handicap, les réflexions sur le Rétablissement contribuent à outiller les acteurs de la santé mentale sur les pratiques qui tendent à favoriser
« Pour moi la communauté de pratique aide à faire avancer la psychiatrie ainsi que le monde médicosocial. Avec le partage des savoirs et des expériences » Membre de la communauté
Qui sont les membres de la communauté ?Historiquement, la communauté de pratique francilienne est un lieu de réflexion créé par des professionnels du champ de la santé mentale et ouvert à toutes les personnes intéressées par la notion du rétablissement et ce qu’elle recouvre. Cela étant, l’on observe des profils de participants qui se distinguent :
- Maillons essentiels du dialogue usagers/professionnels, les pair aidants, professionnels ou non, investissent facilement cet espace où leurs retours expérientiels sont précieux en ce qu’ils s’accompagnent d’une analyse englobant plusieurs facteurs et se font souvent le portevoix de leurs pairs confrontés à des enjeux similaires. Les médiateurs de santé pair et les adhérents des groupes d’entraide mutuelle sont souvent représentés
- Les professionnels qui participent à ces rencontres occupent des fonctions assez classiques des secteurs sanitaire, social et médico-social (infirmier, éducateur spécialisé, chef de service, médecin, …) mais on observe qu’ils exercent souvent au sein de structures qui sont engagées dans la transformation des pratiques (GEM, Maison des usagers, centre réhabilitation psychosociale, centres ressource, dispositifs d’insertion/inclusion, logement inclusif, …).
- Les proches aidants eux ont une parole qui reste rare en partie due aux horaires des rencontres sur le temps de travail
Multiplier les formes de participationÀ la suite de la période du COVID et à la digitalisation progressive des modalités d’échange, la communauté de pratiques à pris le parti de diversifier au maximum les formes de participation :
- Les membres sont invités en présentiel dans un des espaces qui accueillent le collectif :
o Le CHRS Foyer Falret - 50 rue du Théâtre – 75015
- Ils peuvent également participer en distanciel via un lien Visio qui est transmis aux membres avant chaque communauté
- Un formulaire de suggestion de thématiques permet à celles et ceux qui ne peuvent se libérer de contribuer tout de même au débat et à la vie du collectif. Pour ce faire, il leur suffit de renseigner un formulaire anonyme.
- Enfin, les comptes rendus des échanges sont accessibles librement sur le site internet du Céapsy ainsi que sur les réseaux sociaux de la communauté (LinkedIn).
Aborder le rétablissement sous tous ses aspectsLa notion de rétablissement étant complexe, elle vient interroger les pratiques à tous les niveaux de la prise en soin ou l’accompagnement des personnes concernées par les troubles psychiques. En conséquence, les sujets mis en débat au sein de la communauté traitent tant de l’institution psychiatrique, que des injustices épistémiques, de la pénurie de ressources/personnel ou encore des décalages entre les ambitions affichées et la réalité de l’hospitalisation. Voici une liste d'exemples de thématiques :
• Parcours de rétablissement : comment amener la conversation sur l'allégement de la prise en charge (traitements, fréquence des RDV, etc.) • Comment faire valoir le savoir expérientiel dans un contexte dominé par les savoirs théoriques ? • Le rétablissement passe-t-il nécessairement par le fait de quitter les institutions d'accompagnement (social, médical) ? Ou pour le dire autrement : faut-il être perçu (par autrui, ou par soi-même) comme non bénéficiaire d'accompagnement social ou médical pour se considérer comme étant pleinement rétabli ? • La confiance dans la relation de soin : quel apport des directives anticipées en psychiatrie et quelle place pour la pair-aidance à cet égard ? • Un accompagnement disponible en permanence (astreintes, nocturnes, week-ends…) : une bonne chose du point de vue du rétablissement ?
S’autoriser un « pas de côté » pour mieux prendre du reculPour les personnes concernées, la participation prend souvent la forme de témoignages sur des situations vécues suivies des partages d’expérience sur ce qui a été positif ou bien négatif. Les interventions des professionnels permettent quand à elles d’ajouter des éléments de contextes liés aux cadres institutionnels, aux formations initiales ou encore aux cultures professionnelles qui peuvent expliquer certaines situations. C’est la confrontation de ces points d’observation différentiés qui enrichit le collectif et permet de penser la notion de rétablissement à 360 degrés.
« Mais ici, le discours des usagers n’est pas entendu de la même manière, sans doute du fait qu’il est émis dans un cadre qui n’est pas celui de la structure dans laquelle ils sont accompagnés »
Membre de la communauté
« Je m’exprime sans subir de jugement sur la qualité de mes positions : de même que les usagers ne sont pas dans leur structure d’accompagnement, je ne suis pas sur mon lieu de travail, et ma légitimité n’y est donc pas remise en cause »
Membre de la communauté
La communauté, un lieu de réseau et de partageLa communauté de pratiques est aussi un espace de réseau qui favorise les rencontres et les partages. L’intégration régulière de nouveaux membres issus de dispositifs et de secteurs divers permet une actualisation continue des connaissances sur le champ de la santé mentale. De la création d’un nouveau métier à l’inauguration d’un centre de réhabilitation psychosociale en passant par des portes ouvertes d’un groupe d’entraide mutuelle, chaque réunion de la communauté est une opportunité de diffusion de l’agenda francilien et national. Enfin, les partages prennent également la forme de recommandations culturelles, d’ouvrages, d’expositions qui nourrissent la réflexion autour du rétablissement, de la relation soignant-soigné, du positionnement.
« Ceci me rappelle la lecture d’un ouvrage, Les jardiniers de la folie, dans lequel l’auteur mettait en avant ce risque qui guette les professionnels du secteur de la santé mentale. Celui de ne pas avoir conscience de l’intérêt (sur le court terme) qu’ont ces derniers à ce que les usagers restent usagers. Et en conséquence, qu’il faut travailler contre certaines tendances qui peuvent ressurgir sans que l’on s’en aperçoive. Et tout ceci permet de donner du sens, ou de le retrouver, à un métier qui ne peut être exercé correctement sans cela. » Membre de la communauté
Quel avenir pour la communauté ?6 ans après sa création, la communauté de pratiques et ses membres font face à un choix : quelles perspectives quant à l’évolution de cet espace ? La communauté doit-elle demeurer un espace de réflexion en marge de l’action publique ou bien doit-elle muter vers un statut de personne morale afin de défendre ses idées et ses valeurs auprès des sphères décisionnelles de la santé ? En effet, si le format actuel permet une diffusion d’une « culture » autour du rétablissement, la question de la portée de ces messages au-delà du collectif se pose aujourd’hui de manière pressante. À cet égard, le collectif des membres prévoit, dans un premier temps, de participer à des évènements publics en tant que groupe de réflexion pour diffuser l’esprit de la communauté dans les espaces qui voudront bien l’accueillir.
Sources : merci à Aboubakry Tamboura, responsable observatoire et développement au Céapsy, pour son aimable contribution.
Octobre 2024 |